u as lu quelques papiers qui te parlent polarisation du marché de l’emploi et disparition des classes moyennes, remplacée ni par la mondialisation ni par les immigrés, mais bien par la technologie. Tu lis ça sur ton iPhone là. Ouais, ça c’est le côté offre sur le marché du travail. Niveau demande, tu as bien compris l’augmentation de la valeur sociale et économique du temps libre. Parce que liker des trucs est une activité que certains jugent cool et d’autres rentables. La boucle est bouclée. Polarisation aussi dans la musique où des saltimbanques mal nourris écument les soirées à prix libres quand ils ne sont pas expulsés des squats vs des stars multi-globales qui peinent à influencer les élections ou imposer leur service de streaming. Le mouton est retors. Pas mort. Il utilise des pochettes en plastique pour ne pas abîmer ses vinyles de punk. Ce que je cherche à démontrer ici c’est le rôle central, dans la manière dont s’organise une humanité apeuré, de la productivité du travail et du véritable sujet qui doit te préoccuper : le revenu universel.
Le hasard des pavillons m’a fait grandir dans le Sud du Beaujolais. Je faisais les vendanges pour me payer des Reebok Pump. J’y croisais des mecs un peu chelous qui à 12 ans buvaient de la gnôle, étaient à l’aise avec les moteurs et écoutaient 2 Unlimited. Autant dire que le folklore de la macération carbonique effleurait à peine ma curiosité, pressé étais-je de récupérer mes billets et filer regarder MTV. Mais inconsciemment, l’amour du gamay pénétrait mes veines et sculptait mon goût tout aussi surement que les K7 que j’enfilais dans mon walkman.
Quelques albums célèbres développant dans leur jeunesse des arômes amyliques
Des années plus tard, je m’observe dépité écrire des histoires plus ou moins savantes sur la viticulture et d’obscures groupes qui sortent des K7. Pour faire les malins. Je ne porte plus de Reebok Pump mais quand j’ai lu dans la presse que les crus voulaient se séparer des autres Beaujolais, j’ai trouvé ça gonflé. J’ai voulu comprendre ce que cachait ce Cru-xit. A dire vrai, que l’asso de gestion des AOP des crus du Beaujolais décide de quitter l’Union des Vignerons du Beaujolais on s’en fout un peu. Mais quand même. C’est quoi le problème du Beaujolais ? Ça m’a toujours un peu perturbé. Voir des gars arrêter, reprendre, mourir, revivre. Soupirer d’une image piquette-banane qui les dépasse ou les rattrape. Victime d’un succès flamboyant aux limites trop vite atteintes. Piscines japonaises trop petites. Cousin lointain de la Bourgogne. On sait jamais si ça appartient à la Bourgogne ou pas, c’est un peu le Kurdistan viticole. Crispé entre sentiment d’infériorité (blahblah pinot/gamay) et fierté contradictoire (carbonique sa mère). Un vignoble écartelé entre la fuite en avant industrielle et le retour aux sources érudites.
Jaja et Big Data
Quelques chiffres juste pour comprendre le panorama : vignoble en décroissance (-25% de surfaces en 10 ans) et vignerons vieillissants (plus de la moitié ont plus de 50 ans). Les vignes s’arrachent plus qu’elles ne se renouvellent tandis que les jeunes galèrent à trouver du foncier dans cette région qui préfère toucher la prime à l’arrachage que de s’arracher pour du primeur. Un truc paradoxal, la structure grossière du vignoble est plutôt stylée : surface moyenne des exploitations conviviale (soit 14 ha contre le Val de Loire à 22 ha et la Gironde à 35 ha (35 ha autant dire que le Bordelais c’est la ferme aux milles vaches du pinard)) et rendements relativement faibles, bizarre pour un cépage jugé trop productif (43 HL/ha contre 60 HL/Ha en Loire et 50 HL/Ha en Gironde). Tous les excités du vin ne jurant que petits domaines et rendements faibles, c’est le pays de cocagne non ? Mais quand tu regardes l’économie, ça fait mal aux yeux. Ça pique. Le prix de vente moyen en vrac est de 35€/HL. Net. Tu as bien lu. C’est moins cher que du vinaigre à Lidl. Véridique. (oui tu as remarqué j’ai mis ça en gras comme ça au lieu de scroller pour regarder les images tu auras au moins lu cette phrase). La Gironde valorise 4 fois mieux son goût de poivron. A cela tu rajoutes des charges forcément plus élevés (petits vignobles, morcelés, vieilles vignes, pentes) et tu obtiens les crevards de la viticulture française disposant d’un revenu disponible de 9 300 € par unité de main d’œuvre. Annuel ouais. T’imagines le gars qui fait son entretien pour toper un job dans un domaine du beaujolais ? et vos prétentions salariales ? Tranquille, je vise dans les 9 K€ annuels. Pour le 13ème mois je me lâche avec un shoot de gnôle. Vendu. Embauché.
Une japonaise sortant d’un bain de beaujolais nouveau
Et quand tu te rappelles que la vigne occupe 3 % des surfaces agricoles et représente 20 % des usages de pesticides en France, tu te dis convaincu de la bonne foi du mec savant qu’il faut penser maintien des rendements, sans la chimie c’est foutu on va tous mourir de faim et de soif, les paysans deviendront cannibales et envahiront les villes pour dévorer des mecs sans défense aux terrasses des Starbucks. Mais tu reprends sereinement les chiffres exposés précédemment et tu découvres effaré qu’on dépense toute cette énergie pour produire à peu près autant de valeur que du vinaigre détartrant. Tiens je me suis amusé à faire le calcul : 43 Hl/Ha à 35€ ça fait du 1505 € Ha de valeur brute. Je lis dans un rapport que la dépense moyenne en phyto par Ha en viticulture est de 394€. Ça veut dire que la valeur créée par un hectare de vigne est absorbée à 25% pour financer des produits phytosanitaires. Ah ça peut faire les malins et fusionner peinards. Et j’ai pas choppé les chiffres sur Rue 89 ou Elise Lucet hein. Mes sources sont là et là. C’est du .gouv quoi, lourd. Sérieux.
Le dessous des cartes (RIP)
Je ferme la parenthèse sanitaire et reviens au partage des territoires. Forcément c’est un peu crispé. Les crus veulent se la raconter bourgogne, sauter un poil plus haut que leur scrotum, certainement à juste titre, histoire de sauver les meubles en se disant qu’une séparation d’avec les ploucs du beaujo nouveau, villages et sans nom/dent ça ira plus facilement. Avec un peu de chance les chinois n’y verront que du feu, à nous le prestige et les enchères façon FIFA. Le beaujolais nouveau représente environ la moitié de la prod de la zone Beaujo. C’est le voisin embarrassant, c’est la famille nombreuse qui débarque dans la copropriété et installe des trampolines et des trucs un peu pourris qui traînent dans le jardin. Et les voisins blasés qui ne jurent que par Weber aimeraient rôtir leur côte charolaise peinard. Ce sketch institutionnel, plongeant le lecteur curieux dans des histoires syndicalo-agricoles qu’il croyait disparues avec les bérets et les moustaches, révèle pourtant une crise structurelle pour certains, spirituelle pour d’autres, réelle pour tous. Dans ce brouhaha, plus nombreuses sont les lèvres retroussées que les manches. Retroussées.
Nan franchement, à l’heure où les écophysiologistes repensent la manière de sélectionner le vivant en faisant évoluer les idéotypes de la plante vers des modèles complexes, dépassant les seules facultés agronomiques, on se demande comment des lobbying encore attachés à des solutions chimiques d’après-guerre peuvent se parer de la double tunique du modernisme social et de la pertinence économique. Nan tu as raison. C’est de l’idéologie.
Un Chauvet dans la soupe
C’est pourtant au cœur de ce Beaujo’ ringard que s’est développée une science viticole et œnologique d’une rare pertinence. Jules Chauvet. Bam. Le mec qui a 50 ans d’avance sur toutes les courants du hipstérisme. A part peut être la barbe, il avait anticipé tous les trucs dont on parle aujourd’hui avec un air pénétré ou scandalisé : le soufre (tadam ! le soufre !), les petits rendements, le travail du sol, les arômes, la tension du vin, le rôle de l’hygiène et des méthodes pour limiter les intrants en vinif. C’est le Trent Reznor du vin : l’intermédiaire inlassable entre le mainstream ronflant et l’underground foisonnant. L’infatigable dégustateur, comparant, classant, sélectionnant par amour des saveurs, humblement sachant que dans le travail, le talent et la persévérance, il y a aussi le hasard. Avec la docte conviction de celui qui en a sous le coude, il fait passer des idées nouvelles, à contre-courant qui désormais irriguent toutes les discussions, toutes les dégustations. Le pélo il a même conçu le verre INAO. Tu peux pas imiter, sois pas dégoûter, n’ai pas la haine. Le mec. Pantalon à pince, ceinture sous le nombril, à l’aise. A chaque fois qu’il ouvre une bouteille, je l’imagine serrant son tire-bouchon, quille entre les genoux, salivant d’impatience, précis dans son geste, conscient que « savourer » c’est « savoir ». Savoir est ce verbe transitif issu du latin sapere dont le sens balance entre « avoir du goût » et « exhaler une odeur » (dictionnaire historique de la langue française). Alors « sentir par le sens du goût » devient comme une évidence « avoir de l’intelligence, du jugement ». Avoir la connaissance de quelque chose s’est donc s’en pénétrer. Les vrais savent. Savoir-faire, savoir dire, savoir être, savoir vivre. Savoir se taire et mourir. Tout est saveur. Miam. J’ai soif.
Une branche des mathématiques, la topologie, ou « géométrie du caoutchouc », nous apprends derrière la formule d’Euler pour les polyèdres (F-A+S=2) une des caractéristiques fondamentales du monde naturel : la continuité. Bizarrement ces étranges calculs aident à comprendre, et ce depuis à peine les années 90, les moyens utilisés par la vie pour ce reproduire à travers les interactions entre enzymes et ADN. Pendant ce temps, oui, de nos jours exactement, des labos pourtant éclairés par des rapports d’experts, pensent encore que l’avenir de l’agriculture passe par la découverte de nouvelles molécules capables d’arrêter la vie. La mort est plus facile à comprendre que la vie.
Le vin naturel est un poulpe
Jules Chauvet est souvent présenté comme le ‘père des vins naturels’. Marrant cet oxymore. « Naturel » pour parler de la plus culturelle des nourritures. Le vin naturel, c’est le vin cru. Sans artifices, avec les richesses de sa matière première et les erreurs de son concepteur. C’est un manifeste comme le poulpe cru de Diogène, contre l’institutionnalisation du cuit et l’artificialisation des goûts. Les buveurs naturels sont des chiens élevés en fût de chêne, ils s’emparent de la voie publique, fuyant les feutrés concours élitistes ou consanguins (l’un allant souvent avec l’autre). Ils aboient et interpellent, conscients des limites fragiles entre nécessaire protection et inévitable récupération. Leur vin naturel est une ambition sociétale, aux contours mal définis mais à la mise en scène explicite. Diogène le cynique à poil dans son tonneau. Enlèves toi de mon soleil, tu me fais de l’ombre. Il y a de tout dans les vins naturels, oui, de tout. C’est une évidence. Pour qu’un mouvement se forme il faut que les identités se forgent, s’affrontent, se perdent en débats et s’arment. Le grand n’importe quoi en côtoyant le tout élargit singulièrement nos perspectives gustatives. Surtout il rappelle que les sensations créées par le contact de divers composés organiques et minéraux avec les muqueuses nasales, buccales et gutturales sont de nature trop imprécises et difficilement universalisables pour en faire une réelle science objective. Kant n’aime pas le vin. Comme il serait réducteur de confiner le soufre à son rôle conservateur. On ne va pas systématiquement opposer les écoles, le soufre pour les conservateurs, le sans soufre pour les progressistes. Je blague, je me régale. Je replonge dans les textes du père pour mieux apprécier les dimensions de l’agitation qui nous entoure.
Avec le Coca-Cola, aucune odeur indésirable
Ce cher Jules donc, traînant ses savates dans les arènes granitiques du 6.9, a influencé quelques artistes au cœur du Beaujolais : Marcel Lapierre of course, Jean Foillard, Georges Decombes… J’irais sur leurs traces dans quelques minutes. Je voulais juste faire un détour sur un sujet qui à l’époque où je vendangeai en Stan Smith perturbait fortement les discussions : l’herbe. Une vigne avec de l’herbe est une vigne ‘sale’, une vigne de ‘fainéant’. OK, ça fait un peu arguments bas du front. Mais la rescousse arrive avec des arguments ‘professionnels’ : l’herbe concurrence la nutrition de la vigne (oui, forcément) ; l’herbe retarde les vinifications (moins bien nourries les levures, surtout en azote) ; l’herbe diminue les rendements (ça va avec la nutrition) ; l’herbe retarde le débourrement (la compèt’ toujours). L’herbe c’est mal, heureusement, on a des herbicides…
Amusante étymologie. Herbicides, fongicides, insecticides, acaricides et pesticides en tout genre. Suffixe –cide, du latin –cida lui-même du verbe caedere ; caedere virgis : battre à coups de verges ; silvas caedere : faire l’abattage des bois, abattre des forêts ; caedere hircum Baccho immoler un bouc à Bacchus. Frapper, battre, abattre, tuer : se dessine un mode de production tout en finesse, se terminant par l’offrande d’un bouc à Bacchus pour espérer que les résistances n’apparaîtront pas avant la fin du brevet. Décidément, les pharmacies agricoles sont aussi ésotériques que les biodynamistes et leurs cornes enterrées. Arrête un peu de faire ton vivaliste, on en reparlera quand tu aura la grippe.
Éloge de l’herbe
J’aime bien circuler en vélo dans les collines lascives du Beaujolais. Paisible décor de Pierres Dorées. Douces pentes vers la plaine de la Saône. Comme le vignoble est étincelant. Comme les inter-rangs sont nets. Lustrés au Roundup. Appellation « Jardin à la Française » Contrôlée. Et puis, de temps à autre, surprise, des vignes pleines d’incorrigibles touffes, certainement protégées par des talibio fumeurs d’opium. Je continue à rouler et tombe sur ce post sur le blog des Perraud. Intéressant non ? L’équilibre, à moyen terme, vers une prairie diversifiée sous les ceps. Un genre de climax forestier à l’échelle. N’oublions pas la botanique. La vigne est une liane.
C’est le Trent Reznor du vin
Plante grimpante ligneuse. Se fixant sur un support pour atteindre les parties ensoleillées de la canopée. Support vivant qu’elle n’endommage pas. A ce titre, elle dispose d’un système racinaire robuste et pouvant se développer dans un milieu très concurrentiel. Les herbes folles, dicotylédones ou monocotylédones, sont annuelles ou bisannuelles. N’oublions pas la botanique. Les racines fasciculées ou pivotantes des herbes meurent tous les ans ou tous les deux ans, fournissant des résidus nutritifs pour le sol, point de départ d’une microchaîne alimentaire, créant des interstices dans la structure du sol, permettant aération (et donc respiration et minéralisation) et circulation de l’eau. L’herbe se ressème naturellement, de proche en proche, libérant des espaces autant qu’elle en occupe. Ce couvert est donc en mouvement perpétuel, remanié chaque année, en douceur, recyclant la biomasse et favorisant l’accumulation de matière organique, qui se combine avec les éléments minéraux pour stabiliser et nourrir (insérer ici les keywords Complexe Argilo-humique et Capacité d’Echange Cationique). Il faut du temps pour qu’un équilibre se fasse. Dans un sol riche en microfaune, une espèce pathogène a plus de mal à prendre le dessus. Et ainsi de suite. Bien sûr que tout cela aura un effet sur le vin. Certainement. Mais c’est d’abord une réalité agronomique qui m’intéresse ici. En travaillant le sol, on permet aussi des enracinements plus profonds. Attention, n’allez pas me sortir en fronçant les sourcils « plus une vigne s’enracine profond plus les vins seront profonds ». La vigne s’alimente comme toutes les plantes en surface, dans l’horizon vivant du sol (celui où les éléments nutritifs sont rendus disponibles par des réactions biologiques). En profondeur, l’oxygène est rare, la vie disparaît, les racines n’y absorbent que de l’eau (et c’est déjà bien pour la résilience post-Cop21).
Côte de Brouilly, Brouilly, Juliénas. C’est qui ces meufs ? leur pélo fait du vin. aaaah !
Très amusant d’ailleurs je lisais un pourtant grand journaliste – genre qui sort des livres et tout – dire que vraiment ça suffit l’idéologie dans le vin tout ça tout ça et se fendre de cette phrase : « On ne reconnait pas à l’aveugle un vin en bio ou biodynamie. Il y a une chose que l’on reconnait : c’est le travail du sol dans les vignes. Des vignes désherbées peuvent donner de bonnes choses mais dès que l’on y réintroduit les charrues, que l’on fait plonger les racines, une troisième dimension s’ajoute au vin. Une profondeur. Et ça, on le reconnait ». LOL. J’y connais rien en dégustation mais je serai curieux de savoir quel goût à la profondeur. Un goût non idéologique de protozoaire anaérobie je pense. Retour sur mon vélo, été 2016. Particulièrement pluvieux. Pas facile de contrôler le développement des herbes folles. Méthodes post-napalm, j’observe les herbes rougies par le Roundup, traces visibles des pulvérisateurs jusque dans les chemins jouxtant les vignes (ah non j’ai pas dit que les pulvé traînent très involontairement parfois sur les parcelles bio pour les déclasser. Jamais.). De l’interprétation un peu littérale de l’expression « faire du rouge ». Alors j’ai filé chez quelques indiens qui en plus de faire des bons vins, laissent l’herbe faire son travail.
Je me baladais cet été avec un copain chef de culture pour quelques grands noms en vallée du Rhône. Entre Châteauneuf du Pape et Vinsobres, on appréciait la beauté nouée de vieux Grenache, conduits en bio depuis des dizaines d’années. Idyllique. Landscape. Chants des grillons, cigales, criquets et cagoles… Alors il me raconte une anecdote. Cette année j’ai dû traiter contre la cicadelle. Obligatoire. Donc je traite. Je me baladais dans les vignes et je trouvais que quelque chose avait changé. Je ne trouvais pas quoi.
C’était le silence.
Un silence de mort.
Le silence.
De mort.
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A l’ombre de Lapierre
J’ai déjà parlé de ces grands amoureux des herbes folles que sont Isabelle et Bruno Perraud. Mon gars sûr David Large est aussi passé dans nos verres. Le grand Jean Claude Lapalu représentait le Beaujolais dans mon ‘local tour’ avec les tontons du grunge. Je rajoute donc quelques portraits dans cette galerie hasardeuse, mise en musique avec quelques pépites locales. Je suis un romantique locavore.
« Quelques snobs laissent entendre que le Beaujolais manque de distinction, mais c’est tout simplement stupide »
La citation au dessus là c’est Robert Parker. Ce cher Bob et ses gros vins. C’est pas Chauvet mais quand même.
On commence avec une rencontre estivale avec Rémi Dufaitre. Chez lui. Le gars s’est pété le tendon d’Achille. Alors il est bourru. Bête blessée. « va pas écrire des conneries sur ton blog ». « nan en fait on s’en fout personne le lit ». Bête blessée mais généreuse, on est resté bouffer, il invite ses voisins. On va ramasser des patates et des tomates. On mange ça. Il ouvre quantité de quilles. Quantité. Et pas de réducteur de débit sur les goulots. Généreux vous dis-je. Comme ses vins. Pulpeux. Juteux. Mais il a mal au pied. Alors il est grognon. Il demande à sa meuf « j’vais me faire un nouveau tatouage, t’en pense quoi ? ». « j’men fous tu fais bien comme tu veux ». Ok. Je fais la rencontre de Laurence. On devrait donc dire les vins de Laurence Dufaitre. Elle fait le potager, organise les vendanges, fait à bouffer, gère les chantiers. Et se barre en vacances. Laissant Rémi ruminer en attendant le nouveau millésime. Les vins de Laurence et Rémi Dufaitre. En sortant de chez eux je suis un peu dans cet état :
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On y rencontre aussi Stephen et Mathilde Durieu. Jeunes cools, transition en douceur vers le bio, comme une évidence. Grande famille de vignerons côté Stephen, autodidacte côté Mathou. On parle transition (quand même 120 ha dans le patrimoine familial, la transition vers le bio se réfléchit à plusieurs), habitude des anciens. Place des meufs dans l’game. La gratification, la reconnaissance. De l’extérieur (la presse, les clients, les cavistes tout ça) ou de l’intérieur (la famille). « J’men fou des critiques, je veux que Stephen me dise si mon travail est bon ou pas ». Les meufs dans le vin m’ont l’air de galérer par ici. Allez, on s’écoute Litige. Grrlz punk rock. Grrlz rules. Never give up. #womendowine
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Dans tous les cas, féminisme ou pas, Stephen et Mathou font un Beaujolais villages qui claque. Vieilles vignes ou pas, valeur sûre dans les deux cas. Pimpant et frais comme une mignardise. Ce déguste à la cool en appréciant les détails comme dans un morceau de François Virot, qui s’il avait une moustache serait le Magnum de l’underground lyonnais, tellement il te met le smile et la décontractitude :
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Après Saint Etienne des Oullières et son foisonnement de vignerons talentueux, on remonte un peu vers Chénas, l’un des crus les plus au Nord de l’Appellation Beaujolais. Rencontre avec Paul Henri Thillardon. Installé depuis peu avec son frangin, Charles. Mes chouchous. Les gars ont posé leur chai en haut des coteaux de Chénas comme le Corcovado dominant la baie de Rio. Ils sont holistiques, ils envisagent l’intégration de la vigne dans son milieu : sol, forêt, animaux. Oui le cheval. Comme dit David Large « le cheval c’est pas une mobylette ». Pas si simple. Faut le dresser, le déplacer, le nourrir. Il mange pas du raisin lui. On peut pas forcément travailler tout le domaine avec une seule jument.
L’herbe, la forêt, la vigne. Et le poulailler.
On remplace pas l’énergie du sous-sol par trois bottes de foins. L’intégration vigne/prairies. L’herbe toujours. Pensons que la surface agricole, avant le pétrole, devait maintenir ses surfaces aussi pour l’énergie. Deux chevaux. Un moteur. Explosion. Libérer le carbone enfoui. On réserve des espaces forestiers, les gars sont dingues, ils ont mis des poulaillers sur pilotis dans les vignes. Remontent la terre à la main. Aménagent. Holistiques. Les bras ouverts face à la plaine. Corcovado. Et leurs vins. Finesse, frisson. Macérations, vinifications ambitieuses, avec ou sans égrappages. Tester les matières. Vinifications parcellaires car si le gamay est roi, les sols ne sont pas que granits. Mettre en valeur. Les gars commercialisent via un agent et passent pas leur temps sur Internet (check le blog, ok mise à jour en 2014). Ils aiment être dans leurs vignes, dans leur cave. Ont des idées encore plein la tête: le gamay est roi sur les granits, on a aussi de beaux calcaires plus au sud, on y fera du chardonnay (coucou David Large « l’avenir est dans le blanc »). On essaye de motiver les voisins en bio, ça serait tellement cool de faire tout un coteau en bio. Esprit collectif. Un voisin passe, nouveau venu, en bio, on lui file un coup de main. Quand j’ai commencé, j’ai débarqué avec tous les anciens de la bio, les Thierry Harel, les Perraud. Je découvrais timidement. Ils apprennent vite. Les vins sont orchestrés, aériens, vibrants. On court sur les toits du Beaujo en dégustant chaque parcelle. Running on the roof , c’est exactement ce que nous invite à faire Kcidy et ses bijoux dream pop, aquarelles déjantées :
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Dans ma tête, Nicolas Dubost travaille dans la continuité d’un Debize. Limite sud du Beaujolais, dans la sphère de la cave de Bully, ça lui donne un côté seul au monde. Faut dire que la coop de Bully est une belle machine avec ses 1,5 millions de bouteilles par an. La cave de Bully est par ailleurs fière « de travailler à l’amélioration de nos techniques de culture afin d’apporter aux consommateurs toujours plus de garanties et de satisfaction » dixit leur site web. Ils font même 30 000 bouteilles de Bio. C’est dire. Moins de 2%. On filera donc nous réfugier chez Nicolas, dont l’intégralité du vignoble en bio laisse exprimer son gamay sur des terroirs très différents : de riches argiles aux sévères granits, et propose donc une jolie gamme, avec des jus simples mais finement équilibrés. Un peu solitaire, un peu bricoleur, il avance tranquilou avec ses idées. C’est le Alexander von Pelt du Beaujo. Easy.
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A quelques encablures, Julien Merle a trouvé son concept. Il use et abuse du lubrifiant social, passe le rotofil entre les ceps et sur ces tempes. Vigneron punk. Au four et au moulin. Homme à tout faire. Il est de partout le merle, il cavale. Son blanc est oxydé ? Les gens aiment ça ? Allez hop on embouteille, à la jurassienne, nevermind the bolocks. Ya encore des punk à Lyon ? Je crois qu’ils sont tous morts. Ah non, c’est vrai. Il en reste un. Homme à tout faire. L’idole de ma jeunesse car il chantait dans Miss Goulash, Best band for ever. (aha, ya encore un web site, genre sous flash quoi). Le tic-tac du métronome, la lune, les saisons, les cavalcades …
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D’ailleurs si tu étais moins acariâtre et anti-jeunes, tu aurais déjà maté le clip d’Avions, dont la fraîcheur te rappellera les meilleures heures du combo Kro-Curly-Skate. « Le clip », t’as vu comme je parle… Ils viennent même de sortir une K7. Rue-toi.
Jules Chauvet avait tout prévu, sauf peut être les tatouages
Certes elles sont magnifiques, mais Sylvère Trichard est plus que ses étiquettes. Cette année j’ai surloué son primeur. Précis, enjoué, croquant. Délicat. Ah le primeur ! trop facile d’en faire l’éloge en ne jurant que sur le gouleyant. Le goût pour les vins vieillis est aussi une idéologie. Ouais bien sûr le vin en se dégradant va développer de nouveaux arômes. Cool. Les boliviens font ça aussi avec des patates. Ils les font sécher, puis tremper dans l’eau glaciale des torrents andins, ces aller/retours vont les dessécher. Ça développe des arômes. Ouais, ça a le goût de la patate moisie. Ils sont à donf les boliviens. Aimer les goûts vieux c’est un truc de vieux riche, nan ? C’est la capacité à immobiliser du capital, c’est la cave, lieu sacré où s’alignent les médailles d’or, où s’étalent le bon goût et la puissance. Polarisation de l’offre et la demande. Placez vos millions dans la Romanée. Tu crois vraiment qu’on a le temps et l’argent pour stocker toutes ces quilles ? Alors on ouvre les vannes dès que le vin se tranquillise, ce qu’il perd à ne pas attendre, il le gagne dans nos joues tendres. Ah ce primeur de Sylvère, il est si net, le fruit est calé, la chair si proche de la fleur, avant que ne durcissent les fibres. Le primeur est un instant, une peau juvénile que les rides n’auront pas. Sylvère a la classe. La Classe Mannequin qui ne sont pas du coin mais de la West Coast, et leur soleil d’amour nous rappelle qu’on peut être pop et chantant avec ce qu’il faut de nervosité alambiquée. Classe Mannequin qui ont sorti un très chouette album, trop inaperçu, chez les impayables Head Records.
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Je termine ce tour, temporairement, par les cheveux gris les plus coolos du Beaujolais. Le Crêt de la Bine est un jeune domaine créé par Marie-Thérèse et François Subrin, qui pourraient être tes grand-parents. L’audace n’a pas d’âge. Le gros coup de chauffe quand en 2008 ils créent le domaine, après des années de monoculture ‘classique’ (depuis 1975 exactement), François étaient même vice-président de la Coop de Bully. Encore elle. Le virage. L’amour du risque quand certains commencent à sortir les calculettes pré-retraite. Et puis avec douceur, humilité et amour du détail ils revitalisent leurs 6 Ha et proposent des vins scandaleusement bons, pas chers et authentiques. Une démarche illustrant à merveille en quoi une totale reconfiguration d’un métier est possible, certes aventureuse, mais quel résultat ! Quand je débarque un soir pour déguster à 19H, François s’excuse presque d’être à table. Saleté de touristes. Mais il détache sa serviette, et vient nous servir avec attention. S’effaçant derrière la doublette cépage/terroir, il verse dans nos verres un beau jus aux reflets violines « c’est un Beaujolais du terroir Martin, fabriqué sans intrants avec des raisins très mûrs ». Trop humble, trop discret. Pas de femmes à poils sur ces étiquettes, pas de jeux de mots non plus. Ancien vice-président de coop, il n’est pas du genre à cracher dans la soupe. Collectivement, il y a tellement de choses à faire. Mais repenser un rôle, des méthodes, une place dans la société n’est pas évident. Il faut du temps pour construire et convaincre. Connaissant trop bien les réalités et contingences d’une profession. Tous les vignerons ne veulent pas se balader de caves en caves baratiner une clientèle assoiffée. Tous les viticulteurs ne souhaitent pas être vignerons. Certains n’attendent la fin de vendanges que pour retourner à la chasse. La commercialisation de vin en bouteille est un autre métier, pas si évident. Marrant, le rapport cité en intro sur la crise du beaujo est aussi schizophrénique dans ses recommandations : moderniser le vignoble, diminuer les coûts de production (donc arracher pour ré-implanter des vignes mécanisables). OK. C’est une logique. Puis quelques lignes plus loin : reconquérir des marchés, développer des filières courtes, répondre à une demande sociétale… OK. C’est aussi une logique, mais sont-elles conciliables ? Alors François, le Saint François du Beaujolais, a fait un tranquille demi-tour, montrant que l’agriculture bio n’est pas un retour au passé mais bien l’ouverture vers de nouveaux avenirs. Tel Josef van Wissem qui parcourt le monde pour redonner sa grandeur au luth, instrument d’avenir capable de retranscrire à merveille nos craintes, angoisses et les faire vibrer pour les transformer en harmonieuses contemplations. Dans ce morceau, Death of the ego, l’artiste cherche à s’effacer derrière son instrument, et Saint-François, s’effaçant derrière ses vins, soupirant « ya tellement de choses à faire en collectif » …
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Mon cher Beaujolais. Tes collines me mènent vers les sommets. Que des artistes refusent les autoroutes proposées par Bayer-Monsanto remplit nos verres de joies sans soufre. Nous sommes volatils, nous sommes primeurs. Nous sommes même sacrément oxydés. Nous sommes des ombres déjà quittant cette terre. Comme chantent ces jeunes aux guitares aussi tristes qu’incisives « Sommes-nous à l’abri au sommet de l’échelle ? »
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Mon cher Beaujolais, ils sont encore nombreux à découvrir, petites merveilles à chérir. Je continuerai à arpenter tes collines. Et je te retrouve le 3 avril au Bojalien.
Bisous
Il y a un siècle. Un puceron sous-terrain a bien failli mettre le patrimoine français à terre. Le phylloxera, et la maladie qu’il transmet, c’est le Ragnar Lodbork de la vigne. Il a mis une sacrée frousse à tout le monde. Dans cette histoire, la parade fût trouvée dans les ressources génétiques de la vigne, avec des porte-greffes résistants. Un certain Victor Pulliat (Société Régionale de Viticulture de Lyon, chaire de viticulture à Institut Agronomique de Paris et fondateur du Lycée Horticole d’Ecully) préconise le greffage dans le Beaujolais et sauve une profession, un héritage, un paysage et tout le tralala. Le greffage sauve un continent. Hasard des résistances naturelles. Wikipedia nous apprends même qu’on chante en son hommage « Je lève mon verre et je bois, A ta santé Victor Pulliat ». La solution était dans la vie.
Un siècle plus tard. La vigne est menacée par la flavescence dorée, transmise par un insecte insignifiant mais dont l’éradication par néonicoticoïdes devient une obligation. Arrêté ministériel. Fermeté et rigueur. Amusant, il y a un siècle, on aurait pu penser à stériliser les sols sur 50 cm pour se débarrasser du puceron. S’eût été une brillante innovation agronomique. Allez, je lève mon verre à la santé de Syngenta. Tiens y’a un obscure band d’indus qui s’appelle Phyloxera.
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